dimanche, avril 16, 2017

"Garten der Sterne", film de Stéphane Riethauser et Pasquale Plastino.

 « Laissez les morts enterrer leurs morts » disait-Il, et à raison. Par contre, il n’est pas interdit de leur rendre visite, de vivre parmi eux, de les accueillir dans le fil de notre vie, notre récit, et s’en retourner honorer leurs tombes au cimetière, un espace social comme un autre.

Il existe à Berlin, dans mon cher Schöneberg, derrière la Hauptstrasse, le fitness, le cinéma Odéon, la librairie d’antiques et d’occasion, il existe ce lieu paisible découvert par le hasard d’une promenade, un cimetière ancien, à la fois perché sur une petite colline et paresseusement adossé à son enceinte. Nous l’avons parcouru avec Christine, admirant les monuments funéraires Bidermeier, les belles essences, les parterres toujours entretenu. Il est vrai que l’on peut « parrainer » une tombe ancienne, on devient son jardinier, on garde la pierre propre, on fait tout comme s’il s’agissait de la tombe d’un proche.

L’Alter Sankt-Matthäus-Kirchhoff offre d’autres originalités. Il y a son carré des enfants morts-nés, son carré gay et un café, le café Finovo, jouxtant un commerce de fleurs. Il s’agit d’un café « funéraire », comme il en existe chez nous, ou presque, de ces tea-rooms accueillants et nostalgiques juste en face du cimetière, où l’on finit toujours par finir d’enterrer nos morts dans le café, le thé, la pâtisserie et, parfois, encore une petite goutte de jaja. A Berlin, on est pragmatique et poète à la fois, le café se trouve donc DANS l’enceinte du cimetière. On pourrait croire qu’il a toujours existé, que nenni, il est l’œuvre de Bernd, grand ordonnateur laïque de rites à inventer et nouveau Charon.

Et c’est ici qu’intervient la magie des réseaux sociaux. J’entretiens une amitié désincarnée avec Stéphane Riethauser, réalisateur genevois d’adoption berlinoise. Il y a quelques semaines de cela, il annonce fièrement la sélection de son film « Garten der Sterne », co-réalisé avec le scénariste Pasquale Plastino,  au Achtung Berlin Festival. Ma curiosité est éveillée, je vais regarder le trailer sur Vimeo et me retrouve dans le fameux cimetière de Schöneberg, où, entre autres, sommeillent les frères Grimm. Ni une, ni deux, je contacte Stéphane en message privé, lui demandant quand sortira le film en Suisse, et où, pour combien de temps, et …, et … , et l’intéressé de me passer un lien magique que je puisse visionner son film en streaming à défaut d’un grand écran.

Le duo Riethauser-Plastino a du talent, incontestablement. Le récit est resserré sur un conte des frères Grimm. Le spectateur est invité à découvrir les lieux, l’histoire de Bernd et de feu son compagnon Ovo, les ravages de la pandémie sida dans les années 80, comment Bernd a eu l’idée d’ouvrir un café dans le cimetière, et le carré des enfants morts-nés, les étoiles de ce jardin, tout un rite à inventer, et le « squat » de tombes historiques par des défunts d’aujourd’hui, et le carré gay où il est permis de trouver des tombes communes indiquant « ci-gisent X, pilote de chasse, et Y, maître coiffeur ».


La maîtrise de la caméra se fait avec ce qu’il faut de lyrisme et de naturel. Le spectateur passe d’une saison à l’autre, de très beaux plans séquences qui chapitrent le conte des frères Grimm, l’histoire de l’homme pauvre qui donne la mort pour parrain à son dernier-né. Parfois une saynète comique ou surprenante, comme un interlude, puis le regard calme et doux de Bernd, les parents près de la tombe de ces enfants partis avant même d’arriver. A Berlin, ceux-là aussi ont une place. L’échos assourdi de la bonne vie wilhelminienne résonne entre les allées, la Berlin au-delà de toutes les catastrophes, celle des bonnes gens, avec ou sans chapeau à plumes.

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