mardi, septembre 13, 2016

"Frantz" de François Ozon


Un jour, François Ozon est apparu au monde, il m’est apparu parmi ce monde, nimbé d’une aura paradoxale, comme si l’on devait toujours évoquer son nom avec quelques clins d’œil. C’était à Berlin, évidemment, en automne je crois ; j’ai assisté avec Chris. à la projection en « avant-première » de Angel, le récit fougueux et pathétique d’un auteur au début du XXème siècle, une jeune femme venue aux lettres du simple fait de son immense talent et de sa propension à vouloir échapper à l’univers étriqué, petit-bourgeois et pense-menu de son milieu, sa mère tenait une épicerie. La séance avait lieu au Kino International, une salle mythique. Depuis cette lointaine soirée d’automne, je porte toujours sur moi le motif de la pugnacité de l’auteur à vouloir plier le monde à son récit, quitte à se mentir, jusqu’à la ruine, jusqu’à la mort.

Les critiqueux cinématographesques dont j’ai eu fait partie ont apparemment oublié Angel alors qu’ils y vont de leurs commentaires sur Frantz, le dernier Ozon, « premier film en costume du réalisateur ». Je vous l’ai dit, les critiqueux ont la mémoire courte ou manque de culture. L’histoire débute en Allemagne, Queldingburg, Sachsen-Anhalt, une jeune fille en noir, visite au cimetière et quelques fleurs sur la tombe de feu son fiancé ; on est en 19, ou en 20. Les fleurs ont été déposées par un inconnu, un homme qui se glissera dans le rôle d’un ami français du défunt – Frantz ayant étudié à Paris. Se méfier des faux-semblants, ne pas se raconter un scénario trop joliment écrit ; je ne sais rien de M. Ozon mais je le connais, je connais sa pétulance, l’ivresse de l’aisance et sa maîtrise à la façon de … qui il veut. Le jeune homme français, Adrien Rivoire (Pierre Niney), n’est pas celui qu’on croit, c’est un saint, c’est un monstre, un fou tel qu’il se conçoit.

Il y a l’Allemagne aussi, son meilleur rôle muet ; il y a Hans (Ernst Stötzner) et Magda (Marie Gruber), les Hoffmeister, les parents de Frantz, et la presque veuve, Anna (Paula Beer). Parfaits. Tout tombe juste, jusqu’au service à café en Strohblumenmuster au milieu de tant de douleur mutique. Les vieux parents voient dans la personne de cet ami du fils disparu un peu de celui-ci, retour d’une timide douceur, et Adrien tient si bien le rôle. On s’imagine déjà Anna l’épousant. La guerre leur a pris Frantz, la France leur rend un fils et un promis. Jusqu’à l’Eglise catholique de cette bonne Allemagne trahie et dépecée qui sait trouver les mots apaisants. Le scénario est en miroir. A la quête d’Adrien en Allemagne répond la quête d’Anna. Les mêmes vexations, la même suspicion. Toutefois, le vainqueur roule des mécaniques ou joue de la fausse ingénuité, grotesquement drapé dans l’étendard de sa victoire à la Pyrrhus dans les deux cas, vous reprendrez bien un peu de cocorico, et de la muflerie en prime.

Angel se terminait sur la mort de la protagoniste, ultime parade pour ne pas déchoir au destin qu’elle s’était écrit ; Frantz se termine sur la fin des illusions et une rédemption pour Anna au final. La guerre est condamnée dans les deux cas, la Première s’entend, comme le lieu où s’est noué le malentendu. Ni la peinture, ni la musique, ni la littérature, la poésie toutes quatre présentes dans les deux films ne réussissent à disperser ce fameux malentendu. Frantz, un film à voir de préférence dans une BELLE salle, au Kino International par exemple ou, plus proche, à l’Odéon (Morges).

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