mercredi, avril 06, 2016

Extrait de "La Lumière des Césars", troisième épisode de la série éponyme.

Il y est arrivé, il y arrive toujours, de manière moyennement peu glorieuse ou héroïque mais qu’importe. Il a pris un paquebot à peine rouillé jusqu’en Islande, puis un zeppelin pour Friedrichshafen. Le brouillard était profond en-dessous, tant mieux, cela évite de se faire tirer comme une perdreau ; Wesley n’a pas perdu les bonnes habitudes de Steeven, à savoir ne jamais avoir l’air surpris – rapport à son inculture d’antan – au risque de passer pour un imbécile à longueur de journées. Il a donc vite déduit que la ville natale du dirigeable était devenue un  « hub », un super aéroport avec ses tours d’amarrage en mini « tour Eiffel », ses ascenseurs à cabine lambrissée, et un nœud ferroviaires par la même. Steeven ne connaissait pas le lac de Constance, Wesley découvre. Ça n’a rien du brillant de l’univers de ses songes, c’est même un peu pouilleux sur les bords. Il concède un sens certain de la mise-en-scène mais pour le reste, c’est prolo-land comme dans son enfance et, ici, il est un mec lambda, pas moyen de se repeindre le plafond en rose après un petit somme, transit consécutif. Il est même un sans-papiers, ou papiers pas vraiment vrais, il a fait « un peu » chanter Richie, en toute amitié, après leur nuit de gonflée. Ça sert d’avoir potassé des livres d’histoire ; ça lui donne aussi un rien de référence dans cette vieille Europe ravagée, plus vieille que ravagée selon ce qu’il observe. Il descend dans le grand hôtel Zeppelin, un gratte-ciel renaissant aux façades recouvertes de fresques. Richie lui a négocié un super-forfait avec la traversée et son vol. Le sommet de la tour est perdu dans la brume, la pluie sent les eighties’ en banlieue et un vague espoir derrière. Wesley a voulu passer à travers, comme à l’habitude de Steeven, mais, là, il est au bout, face à un mur, celui de ses fuites métaphysiques. Il s’attendait vraiment à du balaise avec vaisseaux intergalactiques et pétoires laser, au risque de se répéter, le tout en combi moule-burnes avec des pratiques sexuelles inédites, des hybrides à triple sein, des trucs festifs mais on baise pareil de ce côté-ci de l’univers, peut-être un peu moins. Le sommet de la subversion consiste à danser sur de l’acid-schlager en culotte de peau et chaussettes fluo ! Wesley se sent à la fois pris d’un vertige et d’une sorte de constipation psychique, il ne voit pas quoi faire d’autres … Il a voulu ce monde, il l’a eu ! Il voulait être seul dans lui-même, fatigué des sauts temporels, des histoires de résistance, de l’Agence, complots, etc. Il a tout bien tout fermé toutes les portes et balancé la clef, évidemment. Il n’a pas même envie de se mettre la tête en dedans, rien, le gris et la pluie, et ce petit lac calme et étale, quelques flots aciers. Wesley occupe une jolie chambre Art Déco, comme il se doit, au 18ème étage, sous les appartements impériaux, au cas où Sa Majesté ferait un petit saut dans le coin, ou l’un de ses représentants à la cour. L’empereur ne se déplace plus que pour des visites d’Etat. La presse le dit à Saint-Pétersbourg, parti rencontrer le prince régent et tuteur de son cousin le jeune tzar … « Mauvais plan » se dit Wesley, il aurait dû rester à Neu York, à faire vrombir sa voiture rouge avec Rick Astley, fitness, restau’, son joli triplex à Süd Harlem. « Quelle quiche » se dit-il encore, « pas une de droite » et son scaphandre qui décolore, qui devient aussi manche et irrésolu que Steeven, quel était l’intérêt à changer de corps, de vie, de dimension. Y’a pas à dire, c’était mieux avant, même un avant jamais advenu. Pour se distraire, Wesley descend de sa tour, faire une promenade en ville, voir comme on vit dans l’empire. […]

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