dimanche, novembre 22, 2015

"Entre les lignes", défense et illustration d'une émission de radio

C’est un rendez-vous radiophonique majeur de la littérature francophone que la direction de la SSR… TSR … RTS, enfin la radio-télévision Suisse romande, une entité qui n’a cessé de muer, muter et changer de nom sans pour autant gagner en qualité, bref cette direction au nom du « rendement » n’a rien trouvé de mieux que de biffer d’un trait de plume négligent ce rendez-vous mythique de la prochaine grille des programmes. Comment peut-on, lorsqu’on se prétend service public, grassement subventionné par des redevances exorbitantes, ce qui signifie des impératifs de rentabilité peu contraignant, mépriser de la sorte la chose culturelle. « Entre les lignes » est une porte de la littérature tant romande que française. Que dis-je une porte, un phare, une voie d’accès, une autoroute, une piste aux étoiles, la consécration lorsque l'on est un auteur, une reconnaissance et, souvent, une trouvaille pour les auditeurs.

Je parle pour ma paroisse, soit ; je suis déjà passé à trois reprises dans l’émission de Jean-Marie Félix, interviewé tantôt par Catherine Fattebert, tantôt par Christian Ciocca. Ce fut à chaque fois un excellent moment, l’occasion d’entendre vivre le texte sous la lecture d’un acteur professionnel. Je ne pourrais pas tous les nommer, leur voix m’est familière, je suis aussi un auditeur « mi-assidu » de l’émission ; j’en écoute les podcasts le matin, dans la salle de bain, durant mes nombreux séjours étrangers. Et parfois en live, quand je n’enseigne pas. Lorsque je prends l’émission au vol, je reconnais la voix d’un «collègue » ou, lorsque je ne connais pas personnellement l’invité, je devine le titre de son roman en deux ou trois échanges. Il y a aussi des auteurs qui m’énervent, j’en ai épinglé un – une en l’occurrence – dans « Journal de la haine … »

Se priver de « Entre les lignes » est, non seulement, une marque de mépris d’une bande de marchands de soupe envers la littérature mais c’est aussi priver la SSRTSRTS… ou je ne sais trop quoi, le gros bazar qui chapeaute Espace2, priver ce service dit public d’une ambassade reconnue dans les médias internationaux de langue française. Ce n’est pas avec le « Kiosque à musique », « Un air de famille » ou, pire, « Les coups de cœur de l'apoplectique Alain Machintruc » que l’on va se faire une respectabilité parmi le petit marché de l’audio-visuel francophone pléthorique. Sophisme me dirait-on, élitisme, mépris du goût populaire, etc. Pourquoi comparer ce qui n’est pas comparable, une émission culturelle radiophonique avec de la téloche à neuneu ?! Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée saugrenue de faire un gros gloubiboulga commun avec la télévision et la radio de ce pays. Il y aurait, paraît-il, des synergies. Je constate surtout que la radio qui est plutôt économe se voit retirer le peu qui lui est accordé pour l’attribuer à une télévision dispendieuse et inadaptée à son temps. Quant à mettre en balance de la littérature et du divertissement lourdaud pour première partie de soirée le samedi, je procède selon les nouveaux critères de compétitivité de l’audio-visuel public suisse. Si « Entre les lignes » ne pousse pas à la vente de juteuses plages publicitaires, cette émission génère néanmoins du prestige et la reconnaissance unanime d’un milieu culturel peu enclin à la louange. Regardez donc la liste des invités, vous y trouverez de grands noms des Lettres parisiennes. Et croyez bien que personne ne se fait trop prier pour répondre « présent » à une invitation de Jean-Marie Félix.


Messieurs de la RTSSRTS, du truc, du chose, le machin qui gère les sommes indécentes versées pour notre redevance-rançon, histoire d’avoir le droit de regarder Arte, Planète, France5, parfois M6, 3Sat, TV5 Monde, ZDF, Das Erste et d’écouter France Culture et France Info quand on n’écoute pas Espace 2 ou Vertigo et les infos sur La Première; Messieurs, donc, il n’est pas trop tard pour faire marche arrière et maintenir une émission qui vous rapporte bien plus que des recettes (publicité, redevance), une émission qui vous apporte le respect !

dimanche, novembre 15, 2015

13.11.15

Depuis le salon d’été, où j’ai pris l’habitude de travailler, je jouis de la vue calme du lac, les Alpes, la France voisine. Il s’agit d’un panorama à la Gracq, frontière et paysage. Vendredi soir, j’étais au téléphone avec Christine, Berlin, des nouvelles du Schweizer Verein, de la paroisse Sankt Hedwig, de la vie dans mon cher Brandebourg.

23h30, je raccroche. La table est encombrée de livres, une théière, une tasse en Lomonosov. C’est un décor hors d’âge ; ce pourrait être un intérieur à la Green ou à la Mauriac. La paroi de la montée d’escalier est couverte de gravures anciennes, monuments et vues pittoresques, dans un goût bourgeois suranné. Plus personne ne veut de ce genre de chose, symbole d’élégance des intérieurs chic jusque dans les années 80. Une autre époque. Les marches craquent sous mes pas. Je m’apprête à aller me coucher, réunion politique le lendemain, lever à 7h. La salle et le séjour sont dans la pénombre, Cy. s’est endormi sur le canapé avec le chien. La télévision est allumée, programme spécial, un bandeau rouge au-bas de l’écran. En quelques mots, tout est raconté. J’éteins, réveille Cy. qui gagne son lit. Dans un demi-sommeil, il me dit les attentats à Paris. « Je sais … » et par ces deux mots j’ai conscience que nous sommes passés dans un après.

Il est tard. Sur le chemin de mes « petits appartements » - comme dans les grandes maisons, nous pratiquons la chambre à coucher séparée – je dépose le chien dans son panier. Je sais, et depuis cinq minutes. Prendre des nouvelles amis sur Paris via les réseaux avant d’être inquiet, tout est OK, 0 Killed, pas de morts parmi ceux de ma connaissance. Quant aux autres, les chiffres enflent à vue d’œil, demain sera là assez tôt pour s’en horrifier. Et après ? Nous sommes déjà dans cet après et je ne sais pas comment nous y vivrons ?!

mercredi, novembre 11, 2015

La chapelle Saint-Dominique-Savio de La Longeraie, Morges

Il s’agit d’un lieu aimé et un rien mystérieux, un édifice accessible et protégé, discret sans être secret, un point de vue bien connu des habitants du quartier de Préllionnaz, signalé par un campanile gracieux dépassant des champs alentours. J’ai passé mon enfance à m’étonner de ce lieu, la chapelle Saint-Dominique Savio du domaine de La Longeraie, un édifice réalisé d’après les plans de l’architecte Charles Pellegrino. La chapelle n’était alors plus en service, de toute manière je n’étais pas encore catholique … On racontait tant de choses sur ce « domaine » de la Longeraie, une école catholique tenue par les doctes Salésiens, au service de garçons de 10 à 15 ans, traversant tant des difficultés familiales que scolaires. Les pères ont tenu cette école jusqu’à la rentrée 1980. Ils ont quitté la place le cœur gros après 68 ans de présence.

J’ai le souvenir d’une chapelle éteinte, endormie et vide de la présence du Sacrement, une promenade hivernale, le sentier gelé de terre battue qui relie la cour d’honneur au reste du quartier ; il y avait encore les vergers. Je monte les quelques marches du péristyle et tente de voir l’intérieur de cette église, le faible éclat des vitraux, le jour est très bas. Un déambulatoire emmène le promeneur vers un couvert, la cour de l’école. Je reste intrigué et vais le rester longtemps.

Effet du hasard, je reviens m’installer à Morges, au centre ville. Entre ma promenade hivernale et mon retour, il s’est bien écoulé une trentaine d’années durant lesquelles j’ai reçu le baptême, ai confirmé et pris l’habitude de participer à la messe dominicale. Peu après notre emménagement – je ne suis pas revenu seul – je découvre avec joie que la messe se donne à la Longeraie, tous les dimanches, à 18h30. Le Seigneur y est revenu. Une brique commémorative proclame ce retour avec la fin des travaux de réhabilitation en 2010.

Plus qu’une chapelle, l’église Saint-Dominique Savio, est un lieu de recueillement accueillant, l’espace s’organise sur un plan basilical au sens strict, l’église-halle ou la basilique telle que conçue dans l’antiquité, un rectangle terminé par une abside en cul de four. Cette inspiration à l’antique est renforcée par les quatorze colonnes fuselées cannelées soutenant un plafond lambrissé en berceau. La lumière, surréaliste, merveilleuse provient de jour du bandeau de vitrail enchâssé dans du béton, une œuvre des maîtres verriers Aubert et Pitteloud sur la base des cartons réalisés par Auguste Rody. L’ensemble court au haut de l’enceinte sans interruption et raconte la vie du jeune saint Dominique Savio, élève de saint Jean Bosco. Le petit saint patron des adolescents donne certainement cette note fraîche à l’ensemble qui jamais ne paraît austère.

Il faut voir la chapelle au couchant, lorsque le chœur est illuminé de taches de couleurs vives, le soleil du dehors devenant un soleil mystique. Je suis dans l’incapacité de vous parler des lieux hors du contexte de ma foi. Cet espace est habité, pour preuve le succès des messes dominicales. Quelque soit la saison, le fidèle emprunte le chemin de terre battue, guidé en hiver par la silhouette estompée du campanile. La chapelle brille alors comme une lanterne de Noël. Le grand vitrail de la tribune l’accueille, des motifs d’aspect floral. Car la chapelle a tout d’une grande église : un orgue occupe cette tribune et accompagne les offices. Les bancs, le mobilier liturgique, l’autel participent à l’unité de style de cet espace consacré pour la première fois en 1957. Jusqu’au chemin de croix, épuré, stylisé, design dirait-on s’il était une œuvre contemporaine. Celui-ci est de l’artiste céramiste Béatrice Cinci.


Catholique ou pas, croyant ou pas, pas même amateur pointu d’architecture, je t’invite, visiteur, à t’arrêter dans ce lieu, découvrir cet espace de paix. Il est emblématique de la vie des Morgiens. Il est une forme récente de piété urbaine qui saura même toucher le cœur le plus farouchement athée.

mardi, novembre 03, 2015

"Capucine" de Blaise Hofmann

Ma rencontre avec l’ouvrage « Capucine », de Blaise Hofmann tient du hasard, un double hasard. Cela commença par l’annonce de l’exposition de photographies « Qui se souvient encore de Capucine » au musée Forel, la bonne institution morgienne à laquelle je suis … abonné ou avec laquelle je suis ami, à moins que ce ne soit une association qui s’occupe de prélever des cotisations annuelles en échange d’un droit de visite illimité. Bref, le musée m’envoie régulièrement une news-letter par voie électronique et des invitations par voie postale. Il y a un peu moins de deux mois de cela, j’ouvre l’un de ces courriers et en extirpe le bristol d’invitation. Il est signalé que l’auteur d’une toute récente biographie de Capucine sera présent. Capucine, un auteur ?! Je me rappelle d’une anecdote, quelque chose que j’avais placé dans « Journal de la haine et autres douleurs », notre voyage à New York avec Cy et sa tante. Nous avions passé une journée entière à Woodburry Common, une sorte de village de carton-pâte, un super outlet de toutes les grandes enseignes du centre ville. Chez Saks, où je fis l’acquisition de quelques accessoires, l’une des vendeuses avait repéré que je parlais français avec Cy. C’est donc en français qu’elle s’adressa à moi. Tout naturellement, elle me demanda d’où je venais, « une ville sur le lac Léman, à côté de Lausanne ». La vendeuse écarquilla les yeux, répéta « Lausanne » avant d’ajouter « là où vivait Capucine ». Je découvris alors que la star discrète qui s’était jetée par la fenêtre de son appartement, au huitième étage d’un locatif de standing du chemin de Primerose, était vraiment une star.

Après avoir googelisé Blaise Hofmann, j’ai trouvé une adresse courriel, contacter l’intéressé, lui raconter mon anecdote avec la vendeuse de chez Saks. J’étais surtout intrigué par l’intérêt d’un journaliste pour une gloire oubliée au nom de fleur… Je lui ai donc proposé un échange de livres. Brève rencontre à la cinémathèque, il intervenait en avant projection d’un film dont Capucine tenait le premier rôle. Nous avons procédé à l’échange puis je suis rentré, déjà captivé par les premières pages. Je n’ai pas été déçu du reste, surtout impressionné par le travail d’enquêteur de l’auteur. Reconstitution minutieuse de la dernière journée de Capucine, remise en contexte de la période par l’évocation de petits riens (météo, programme télévisé, la une de la presse romande). On y est, et plus particulièrement le lecteur lémanique qui replonge dans ses propres souvenirs, essaie de se rappeler de ce qu’il avait bien pu faire ce 17 mars 1990, un samedi et rien de pire que les samedis lausannois, leur étroitesse, leur ennui, cette manière épouvantable qu’ils ont à se refermer sur eux-mêmes dès 18h, 17h à l’époque, heure de fermeture des magasins et de tant de cafés. Les lieux encore ouverts ne sont pas faits pour les solitaires, aucune échappatoire ne semble possible. Hofmann relève même qu’on annonce « Sébastien c’est fou » sur la première en soirée.

Comment une femme coqueluche du Paris d’après-guerre, mannequin vedette de Hubert de Givenchy et son amie, étoile du cinéma américain des années soixante, fourrures, robes de créateur, bijoux, villa merveilleuse, limousines … comment une telle femme a-t-elle pu finir dans le cul-de-sac existentiel d’une vie à Lausanne ! Et elle avait largement dépassé l’âge de jouir de l’hédonisme brouillon des nuits de la capitale vaudoise, lorsque le MAD n’était pas encore une boîte de vieux jeunes entre blaireaux et bobo. Combien de fois Capucine n’a-t-elle pas dû laisser errer son regard sur le lac, le cirque des montagnes, cherchant d’où viendrait son sauveur, depuis sa terrasse, son nid d’hirondelle. Hofmann nous raconte un conte tragique et l’avancée de ses recherches en parallèle, Saumur où grandit Germaine Lefèvre pas encore devenue Capucine, Cap’ pour les intimes. On y apprend l’enfance, l’usine de l’oncle un peu collabo’ sur les bords, le père un peu planqué sur un autre bord, la mère limite malveillante, certainement jalouse de sa fille, petit monde étroit et provincial sous l’Occupation. Puis Paris, les petits boulots, un mariage raté, l’engeance de l’existentialisme, une lubie pour ceux qui sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche, ou ceux qui n’aiment pas danser frénétiquement jusqu’au petit jour dans les cave à jazz. Il y aura encore la carrière de mannequin, Hubert de Givenchy, l’ami de toujours, la rencontre avec Audrey Hepburn, l’amie de toujours. Finalement les Etats-Unis, un agent en père de substitution, son pygmalion, des rôles magnifiques mais Capucine a-t-elle été une grande comédienne ?

Mystère. J’ai le souvenir d’avoir vu – dans le délire d’une fièvre grippale – « What’s new, pussy cat » ; j’avais douze ou treize ans et la mélodie du générique ne m’a jamais quitté. Capucine était de cette aventure déjantée, très en décalage avec son emploi d’icône de la femme sophistiquée. Hofmann nous rend parfaitement le paradoxe de cette comédienne qui rencontra soit son public mais pas son réalisateur. Elle était une déesse d’un autre temps, la tragédie de sa vie. Finir seule à Lausanne, ni proches, ni enfants, quelques mots avec le serveur du « Gros Minet », le bar sur l’avenue de Cour, un salut à la concierge – Capucine sent très bien que cette femme ne l’apprécie pas tant, un coup de fil à Audrey qui vit à une dizaine de kilomètres de là mais l’amie de toujours est encore en déplacement, son travail d’ambassadrice de l’Unesco. Je n’ai pas vu de film de Capucine depuis que j’ai terminé la lecture de son excellente biographie ; je ne cherche pas particulièrement à le faire. La mort de Capucine m’a toujours été une sorte de motif mythologique. Maladie ? Peine de cœur ? Déception ? Fatigue ? ou lorsque l’étoile froide de votre gloire éteinte vous laisse dans l’obscurité, et à Lausanne. Sous l’élégante plume de Blaise Hofmann, Capucine a enfin trouvé un auteur qui lui sied.