jeudi, avril 30, 2015

Solaris, l'opéra

Il y avait le film, un bon souvenir un peu flou, je l’avais vu à sa sortie, il y a bien dix ans. Le roman ? Je pratique la SF en BD, mangas, séries télé ou cinéma mais très rarement en version littéraire. Je ne sais pas trop pourquoi du reste, peut-être par fidélité à mon enfance, « Cosmos 1999 » oblige avec les sublimes et magnifiques Barbara Bain et Martin Landau. L’idée de perpétuer l’expérience SF par l’opéra n’était pas pour me déplaire. J’apprécie les œuvres contemporaines pour leur manière d’être « en phase », d’intégrer les contraintes et les possibles de notre temps. Je repense souvent au bon mot que Milos Forman avait glissé dans la bouche de son Mozart (Amadeus) : « les dieux sont si loin des hommes qu’ils chient du marbre », manière d’illustrer l’inadéquation des grands thèmes mythologiques aux préoccupations de ses contemporains, à savoir Les Lumières, un petit vent de pré-révolution, les changements de mœurs (voir Don Giovanni ou Les Noces de Figaro).

Solaris, l’opéra, un spectacle total, chorégraphié, 1h30 pour un puissant dialogue entre soi et LA question fondamentale : mais qui suis-je dans ce corps, sous cette identité, où se situe exactement l’être ? La partition de Dai Fujikura est magistrale, elle laisse la part belle à la tension émotionnelle et au jeu des chanteurs, six exactement. La prestation vocale de chacun était parfaite, ce dimanche 26 avril, Opéra de Lausanne. Je n’ai pas envie de me lancer dans une critique lyriqueuse où l’on mesure les coloratures de la soprano ou la puissance du baryton … Les dieux chient du marbre et les compteurs de petits pois font leur petit travail. On ne fait pas la critique d’un opéra contemporain avec des outils dépassés, les grandes œuvres, les grandes voix et blablabla. Pitié. Solaris offre autre chose que quelques morceaux de bravoure à se pâmer au milieu de trois heures de spectacles dont deux bonnes à jeter. Hélas, on ne peut plus, comme au XVIIIème et XIXème siècle, se lever, sortir, revenir avec de quoi  manger, faire la conversation avec son voisin ou profiter de l’intimité d’une loge pour d’autres activités. Je relèverai toutefois, en l’occurrence, la prestation de Sarah Tynan dans le rôle de Hari. Son fantôme vient hanter son mari, Kelvin, venu dans la station Solaris afin de répondre à l’appel de l’un des trois scientifiques sur place. Suicide, apparition, et la présence en creux de l’océan qui recouvre toute la surface de la planète Solaris, un être vivant avec lequel aucune communication n’a jamais été possible … jusqu’à la survenue des « mimoïdes », ces fantômes, sorte de doubles recréés à partir du souvenir de ceux qui portent le deuil de ces disparus.


Solaris est un spectacle total. Eclairage, atmosphère, musique et danse, chaque personnage est double, chaque chanteur a « son » danseur, illustration de notre diffraction corps-esprit, sans parler de la non-réalité des mimoïdes ! Jamais spectacle n’est mieux « tombé », je tourne à régime réduit depuis quelques temps, cela a un nom, deux, dix, cent … du surmenage très « Trente Glorieuses » à la décompensation nineties’ ou le très commun et actuel « burn out ». Les raisons ? elles sont ce qu’elles sont mais j’ai trouvé dans Solaris une illustration des effets, n’être qu’une surface ou un esprit diminué, tenter le dialogue avec un milieu mutique, hermétique et pourtant une conscience se manifeste, et l’individu redevient homme. Faire corps à nouveau avec soi, être un, exister pour l’autre dans une relation réinventée, et enrichie de la présence et la pratique de l’art, de la littérature, avec l’amitié et du repos.

samedi, avril 18, 2015

Retour de Dresde et Berlin

 
Retour de Dresde et de Berlin, retour en demi-teinte de mes terres allemandes tant plus variées que ce que l’on peut imaginer. Personne ne dirait à brûle-pourpoint à propos de la cuisine italienne ou espagnole « qu’elle est lourde et trop grasse». En plus de dix ans de fréquentations, je peux assurer que les Allemands mangent plus de légumes et plus équilibré qu’en Espagne. Néanmoins, hors les clichés, mes Allemagnes ont tendance à tourner en rond. Ce sont des gens frugaux par nature ; ils aiment la vie simple, passer du temps entre amis au café ou, mieux, sur une terrasse. Ils aiment acheter de la qualité mais sont passionnés à l’idée de faire de bonnes affaires. En Allemagne, on ne jette rien, on fait du troc, on revend au marché aux puces ou on dépose la chose propre et en état sur le trottoir avec un mot invitant à se servir.
 
Ces mêmes Allemands savent qu’il faut travailler pour vivre, et ils le font, comme ils trient leurs déchets, respectent la signalisation routière, l’ordre d’arrivée dans les files d’attente, les lois plus généralement et la sphère privée d’autrui, son intimité. Ils portent plus de cent ans de culpabilité sans broncher alors qu’ils n’étaient pas les instigateurs du conflit en 14 et que le traité de Versailles en a fait les fautifs historiques jusqu’à aujourd’hui. C’est un autre débat, ce n’est pas mon propos ici. Toutefois, difficile aujourd’hui de proclamer l’Allemagne seule et unique responsable du conflit de 39-45, impossible depuis que l’on connaît les complicités économiques alliées avec le régime nazi de 1933 à peu avant la guerre. Bref, les Allemands se devraient de sauver économiquement l’Europe, de faire barrage à la Russie et de consommer plus afin de porter, de surcroît, le commerce mondial !
 
On demande à ce pays d’être schizophrène ; ce pays qui nourrit une admiration sans borne pour la culture française, pour le Sud, ce pays qui a su intégrer ses migrants turcs, qui a su conquérir des foules de touristes de plus en plus denses devrait prendre en charge l’Europe unie sans pour autant avoir le droit d’y imposer sa marque : son parlementarisme, son consensus politique, son multi-confessionnalisme sans pour autant céder au dogme réducteur de la laïcité française. En attendant, le pays contrarié dans sa bonhommie naturelle et privé de toute vocation universaliste, sombre dans une sorte d’obésité sociale. On commémore à tout va, on s’auto-flagelle et on va se consoler en fréquentant les centres commerciaux qui fleurissent ici et là dans des formats inflationnistes. Je suis amateur de ce genre de lieux où l’on trouve toujours une bonne affaire à faire, des toilettes propres et des tea-rooms avenants. Pourtant, je n’en pouvais plus à Dresde. De la gare au Zwinger, ce n’est plus qu’un centre commercial géant, deux pour être précis, sans parler des grandes surfaces et des rues commerçantes. L’ensemble fait quelque peu disneyland pour grands enfants. On ne peut passer sa vie à faire du shopping même si c’est tout bénéfice pour l’économie. Cela ne présage rien de bon …

samedi, avril 04, 2015

"Les Parents terribles" de Jean Cocteau, par la compagnie "Deux Bleux de Bleu"

Jean Marais et Yvonne de Bray
Sous les répliques polies, amusées, drôles, pleines d’esprit, policées, mœurs bourgeoises obligent, le feu ! J’ai retrouvé pour une soirée, une représentation - compagnie de théâtre amateur - le feu de la grande adolescence qui couve sous l’innocence et la nouveauté du monde. J’ai retrouvé de mes seize, dix-sept, dix-huit ans lorsque je vivais à travers les classiques du cinéma à la télévision, et les premières lectures indépendantes, quoique j’aie été un lecteur tardif et très critique. Mais la légèreté coctélienne me parlait, le style apparemment évident, l’aura de l’auteur  me parlaient. Quant aux intrigues, immémoriales à tel point, qu’elles confinaient à la tragédie classique en mine de rien, de l’actuel à perpétuité.

« Les Parents terribles », l’étrange famille, de celle que l’on aimerait détester pour mieux l’aimer cinq minutes plus tard. Les comédiens sont si jeunes, ils campent les personnages d’Yvonne, Michel, Léo, Georges et Madeleine avec tant d’aisance, de justesse. Le premier quart d’heure est un peu étrange, qui sont les parents ? qui est le fils mais le jeu les maquillent avec perfection. J’ai cru voir Jean Marais, Gabrielle Dorziat, Yvonne de Bray, Marcel André et Josette Day, et percevoir  la narration de Cocteau, ces voix d’un autre temps, un phrasé, un style nasillard et toujours un peu ironique. Comment ce texte a-t-il pu parler à ces enfants de moins de vingt ans ? Leur jeu est si juste, la mise-en-scène efficace, poétique ce qu’il faut, un décor fait de lampes et lampadaires, et le lit, le cœur de la « roulotte » ; l’œuvre n’a pas pris une ride. Le texte est peut-être un peu « intello » me confiait un spectateur (ce n’était pas Cy.) mais ces échanges pleins d’esprit, pour reprendre le début du billet, sont la marque d’une époque quand on avait encore de la syntaxe.

La jeunesse parle à la jeunesse. Cocteau n’a jamais été vieux. Le désir, l’enthousiasme et les débordements l’ont conservé parmi la troupe brillante des jeunes gens, ceux que l’on croise un peu partout et qui vous dépassent en trois enjambées élastiques. Je me suis souvenu pourquoi je m’étais tant pris d’affection pour l’œuvre littéraire et filmée de Cocteau. J’ai, le temps d’une soirée, remarqué que cette jeunesse s’était ensablée dans ma mémoire, avec le souvenir de mes seize, dix-sept, dix-huit ans et plus, l’appartement familial, le ciné-club de FR3 le dimanche soir, les lectures tardives dans ma chambre, fenêtre ouverte et, selon le vent, le clocher du temple de Morges ou d’un village avoisinant sonnant deux heures. Cocteau m’offrait à vivre des rapports humains si vrais, crus quasiment, débarrassés des convenances ou du vulgaire des situations défavorisées, un monde idéal où l’on est pauvre parce que l’on n’est pas riche mais pas parce que l’on manque de tout. Et je pouvais rêver de ce Paris en noir et blanc, d’une grande ville aux manières douces et aux sentiments emportés.

Cocteau est précieux parce que fragile, fragile parce que subtil, subtil parce que sensible et la sensibilité, la nuance ne sont plus à la mode en matière de littérature. Ce ne sont pas des valeurs porteuses dans notre globalité culturelle molle. Il faut jouir de la jeunesse, celle qui donne de la souplesse à l’esprit et de la force dans les échanges pour aimer Cocteau et peut-être même le jouer.