mercredi, octobre 29, 2014

"L'Ami barbare" de Jean-Michel Olivier

Photo prise à  Schönefeld
En amorce et de manière lapidaire, je dirais que « L’Ami barbare » de Jean-Michel Olivier est un grand roman d’aventure, populaire, haut en couleurs, une belle ambassade pour la littérature, l’édition et deux ou trois autres choses à propos desquelles je reviendrai plus loin. Jean-Michel Olivier y déploie un style alerte, agréable, ni trop littéraire, ni trop canaille ou poseur : voilà un joli livre à mettre entre toutes les mains, peut-être LE roman grand public des dix dernières années. Son genre éclectique est capable de parler à tout le monde.
Il faut que je vous dise, dans ce texte, à travers ces pages passionnantes qui m’ont comblé de Potsdam à Schöneberg, qui m’ont encore réjoui durant mon vol de retour - l’avion évoluait dans un azur parfait et projetait sa petite ombre sur la mer de nuages en contrebas, un ciel que n’aurait pas renié le principal protagoniste – dans ce texte donc j’ai rencontré quasi un ami, un ami barbare : Roman Dragomir. J’ai peu suivi ce qui se disait à propos de ce roman, il était sur ma liste de lecture, parmi Stéphane Bovon, Sébastien Meier et d’autres. Suite à un post facebookien de Jean-Michel Olivier, l’annonce de l’une de ses critiques sur le blog du Temps, un peu bravache, je lui ai demandé à quand une critique de « Canicule parano », mon dernier roman ? Ce à quoi il m’a répondu « Envoie-moi ton livre, je t’envoie le mien et on fait des critiques croisées ! » Euh, oui, ça tombe bien, mes croisières, séjours berlinois, escapades à Francfort, Paris, Milan, Barcelone, etc. me laissent quelque peu fauché de retour. J’ai quasi procédé de la sorte avec les titres d’auteurs romands dont je parle dans ce blog, quoiqu’avec les autres, j’y vais encore plus franchement au culot. Avec M. Olivier, prix Interallié 2010, je n’osais tout de même pas. Quoique j’eusse écrit en son temps le panégyrique du grand Jean-Michel à l’occasion de la remise du prix de l’Association vaudoise des Ecrivains en 2006. Bref, tout ce détour pour vous dire que j’avais bien entendu deux ou trois choses sur la véritable identité de cet « ami barbare », il s’agirait du fondateur des Editions de l’Âge d’homme, Vladimir Dimitrijevic. Et quand bien même ?!
 
Arrivent ici les quelques reproches que je pourrais faire à Jean-Michel. « L’Ami barbare » est un roman à clef, une vieille clef qui n’ouvre plus qu’un portail rouillé au milieu de rien. Avenue Agassiz, en-dessous de la place Saint-François, il s’en trouve un comme ça : plus aucun mur, aucune grille mais on l’a laissé là entre ses deux piliers parce qu’il fait joli, avec sa ferronnerie d’art, et il est soigneusement fermé à clef ! J’ai bien vaguement reconnu un nom par-ci, par-là. Je n’ai pas retenu le sobriquet par lequel est travesti le nom de Bertil Galland, la charge est massive. Je ne sais pas ce qui a bien pu se passer – pour de vrai – entre Galland et Dimitrijevic mais du peu que je connais ces personnes, j’imagine qu’elles n’étaient pas faites pour s’entendre. Personnellement, avec mon complexe social, je ne peux être qu’écrasé et baveux de respect devant la grande dignité de M. Galland ; je l’ai entendu l’autre soir au téléjournal, j’adore son phrasé d’élite romande sûre d’elle-même. Il y a aussi quelques journalistes évoquées selon leur aspect pincé ou leur chevelure grise, longue et grasse. Notre facétieux auteur ne serait-il pas en train de régler des comptes, quid ? En tous les cas, aucune des figures invoquées ne me parle ; je ne sais pas de qui il s’agit et je ne dois pas être le seul dans ce cas.
 
 
Durant mon adolescence, je suivais très peu les aléas du milieu littéraire romand, ça ne m’intéressait pas. J’avais bien proposé un manuscrit (manuscrit et pas tapuscrit) aux éditions de l’Âge d’Homme, un recueil de nouvelles un peu légères et crypto-gay qui m’avait été chaleureusement refusé. J’en avais pris mon parti et m’étais dit que je réessaierais une autre fois avec un autre titre. Je me souviens avoir entendu dire que Dimitrijevic était un militant d’extrême droite serbe, un type pas fréquentable. Je n’avais pas cherché plus loin. Je n’étais alors ni intéressé par la littérature romande, ni par la littérature slave, ni par la littérature étrangère (non-francophone) en général. Je n’avais d’yeux que pour le microcosme parigot. Mes premières amours littéraires avaient pour nom Hervé Guibert, je brûlais pour son autofiction tragique. En fait, je suis né au monde en 1989, à la chute du mur, je me suis émancipé en 2003, lors de mon premier séjour berlinois, et depuis un peu plus de dix ans, je lis, vraiment. Jean-Michel Olivier, avec son « Ami barbare », m’a rendu l’Europe que je n’ai pas su voir à l’époque, trop engoncé dans un univers prolo et normatif. Il m’a indiqué le chemin vers un continent perdu, vers cette belle et bienheureuse Yougoslavie qu’on a laissé brûler. Il rend son honneur à un mythe local – s’il s’agit bien de Dimitrijevic. Ce roman est un formidable voyage qui m’a donné envie de connaître Trieste la habsbourgeoise et Belgrade la blanche, et tous ces merveilleux territoires « mittel Europa » que me chantent mes amis. Et j’ai un faible pour les Serbes, j’ai toujours eu un faible pour les mauvais sujets, même s’ils souffrent de donjuanisme forcené et sont fous de football (voici le deux ou trois autres sujets sur lesquels je devais revenir). Jean-Michel Olivier a beaucoup de décence allusive quant aux scènes d’amour et ses descriptions rendent presque un match de foot intéressant. « L’Ami barbare » est le roman d’aventure à tenir dans sa bibliothèque.
 
P.S. Inutile d’aller avenue Agassiz, essayer d’ouvrir la grille au milieu du parking, elle n’a plus de serrure, elle est scellée.

mercredi, octobre 22, 2014

BER - le scandale de l'aéroport fantôme

Hier, en compagnie d’une amie, nous avons suivi une visite guidée du futur grand aéroport de Berlin, un scandale tellement immense que nul ne peut le dénoncer ouvertement. Les plans ont été bâclés, l’implantation est catastrophique, à cinq cents mètres de Schönefeld, l’ouverture annoncée a été repoussée cinq à six fois, des dizaines d’entreprises ont dû être dédommagées, un hôtel de bonne catégorie ouvert devant cette aberration aéroportuaire a dû fermer ses portes après être restés ouverts quelques semaines. Toute l’affaire fleure bon le copinage et les arrangements douteux. Le très gay et très médiatique maire de Berlin y a laissé son immense crédit politique. On parle déjà de son successeur à la tête de la capitale allemande aux prochaines élections.

Schönefeld n’était pas un cadeau. Aéroport de brousse desservi par une ligne de S poussive, il est aussi peu accueillant qu’une base militaire soviétique de l’époque stalinienne. Toutes le tentatives pour désenclaver ce lieu se sont soldées par un échec aussi cuisant que discret. Les « Schönefeld express » au départ de Zoo tous les quarts d’heure ont disparu au profit de correspondances compliquées dont la prévisions nécessitent tant la boussole, le sextant que la boule de cristal de Madame Soleil. Finalement, l’usager fréquent s’est rabattu sur le U7, terminus à Rudow,  banlieue mi-moche où il trouve deux ou trois lignes de bus totalement inadaptées au transport de passagers avec bagage qui le mèneront au terminal DDResque de Schönefeld ! Pas un siège où s’asseoir, des sanitaires dignes du goulag et, droit en face, les fières nouvelles constructions de BER dans lesquelles on a totalement négligé le système anti-incendie, salopé le câblage électrique, raté la ventilation ! Lorsqu’on s’est aperçu de la bévue, il était déjà trop tard … Aujourd’hui personne n’ose avancer une date plus ou moins probable d’ouverture, deux ans de retard déjà, des dizaines de lignes aériennes annulées faute de place à Tegel et Schönefeld, sans parler de la fermeture scandaleuse de Tempelhof, présenté durant une campagne d’affichage agressive au  bon peuple comme un aéroport de « sales riches ». Un référendum déclaré illégal avait toutefois demandé le maintien de son exploitation.

BER, donc, une bretelle d’autoroute qui ne sert à rien, une gare souterraine de six voies, quelques œuvres d’art magistrales jetées çà et là dans le terminal désert et tout le monde sait pertinemment que la solution la moins coûteuse consisterait dans l’abandon des bâtiments défectueux, la reconstruction plus loin de nouveaux édifices avec sprinklers et système électrique agréé. On nous a expliqué que les travaux se faisaient « peu à peu », dans le texte, les équipes d’ouvriers travailleraient 24h sur 24, 7 jours sur 7 mais, durant notre visite, nous n’avons pas entendu un seul coup de marteau. Nous n’avons vu que des ouvriers tout frais, tout propre en train de prendre des pauses clopes ou traversant des couloirs sans aucun outil à la main. Le clou, alors que la guide nous faisait son laïus au milieu du hall d’embarquement, deux « ouvriers » semblaient travailler en contrebas, sans outil évidemment, l’un palpait un mur, l’autre lui passait des traverses afin de terminer la construction de leur échafaudage mobile. Le temps de faire quelques photos, de suivre quelque peu les élucubrations de la guide, je me retourne et mes ouvriers de compète ont disparu, avec leur échafaudage à roulettes ?! Par la suite, nous n’avons jamais croisés que des travailleurs venant en sens inverse, que tout le monde les voie. Des figurants !
           

dimanche, octobre 12, 2014

"Sous le Soleil de Satan" de Georges Bernanos

Cela commence lourdement comme un roman populaire, un roman de gare, un mauvais feuilleton sanguinolent et gaillard façon pépère pervers. La petite Mouchette – un nom pareil, c’est le pompon – voudrait bien mais ne peut point et ne fait que des bêtises derrière la maison familiale car elle a peu de religion. Voilà donc un chef d’œuvre de la littérature française !? Et les aventures de Mouchette vous remplissent bien 73 pages, un pensum grotesque comme peut l’être le Malin lorsqu’il est démasqué.  En l’occurrence, le prestige de l’auteur et du titre joue en faveur de la poursuite de la lecture.

Et la suite n’est guère plus engageante, on se retrouve à gloser en compagnie de l’onctueux abbé Menou-Segrais, avec ses atermoiements de vieilles filles, sa délicatesse, son inquiétude pour la santé de ses tapis et sa fin de vie, de carrière qu’il se souhaite les plus douces possibles. C’était compter sans le futur abbé Donissan, un vicaire qui lui a été « refourgué » par une hiérarchie ne sachant trop que faire de ce rustaud, ce séminariste pas très éveillé, si peu cultivé, sans manière et, pire, qui sent l’étable ! C’est aussi une sorte de punition infligée au délicat et cauteleux abbé Menou-Segrais obligé de composer avec ce vicaire empoté, si mal à sa place. Toutefois, le décor est plu que bien posé ; il commence aussi à se tramer un je-ne-sais-quoi entre les attentes de l’un, la maladresse de l’autre. On en oublie quasi Mouchette et son vice par ennui.

Cette deuxième partie, cette « Tentation du désespoir » se termine par une singulière rencontre. Le pauvre Donissan se perd sur la route pour une paroisse voisine où il doit confesser les fidèles. Nuit sans lune, nuit d’hiver, froide et inhospitalière. Et la rencontre, le réconfort offert par un maquignon lui indiquant la route à prendre pour, au moins, rentrer et ne pas geler dans le fossé. Il suffira d’une parole de rien pour que l’abbé s’effondre, ce genre de rien perfide lancé avec malignité et une indifférence feinte. Donissan, crotté, suant, épuisé vient de rencontrer Lucifer, le prince des ténèbres ou l’un de ses avatars. Et l’ange déchu de souiller le prêtre par un baiser – ils en resteront au baiser, on était sur le point d’imaginer d’autres turpitudes d’autant plus que Bernanos fait miroiter quelque secret à son lectorat. Rien qu’un baiser et l’aveu : jamais Donissan en dépit de sa sainteté ne connaîtra la paix. Ce dernier a même offert sa rédemption pour celle de toutes les âmes perdues qui viendraient à lui. Il lui est alors révélé  son don de clairvoyance. Le vicaire Donissan, futur abbé de Lumbres, le grand garçon gauche et inculte, celui qui tente d’arracher de lui toute joie, espérance et autres tentations démoniaques en se flagellant à coup de chaînes, ce pauvre homme d’église toujours crotté et embarrassé est gratifié du don de connaître les âmes, de les lire d’un seul regard. C’est ici, après le départ de Lucifer en marchand de chevaux, que la route de Donissan va croiser celle de Mouchette, plus folle que nature. Donissan lira son âme, ses errements et jusqu’à son proche avenir !

Parmi cette confiture de bondieuseries, cette narration rustique et confuse, ces préventions et ces effets de suspens grossier, le texte de « Sous le Soleil de Satan » révèle sa puissance dans la troisième et dernière partie. On touche alors à des vérités intangibles, comme la parole parfois maladroite du prêtre lors de l’homélie qui nous touche dans une sorte de sommeil hypnotique proche de la révélation. Combien de fois ai-je été réveillé par le volume qui était tombé, je ne m’étais pas même aperçu m’être endormi alors que je poursuivais un dialogue avec le texte même. Et le final,  la mort évidemment, sans pour autant que ce soit là un gage de paix pour Donissan, celui qu’on appelle depuis qu’il en est devenu l’abbé, « le saint de Lumbres. Il y a le miracle, ou une aberration, un enfant mort que Donissan ramène pour moins qu’un instant à la vie. Et la mère en perd la raison. Bernanos nous démontre ici l’inanité de nos stratégies ainsi que la voie d’une vraie et entière liberté. Les prodiges du prêtre thaumaturge ne sont que de grossières manipulations qui nous distraient  de la radicalité du devoir chrétien : un devoir d’amour, ou la meilleure manière de ne pas prêter le flanc à Lucifer.

Un mot encore quant aux vanités épinglées, toutes, surtout la présomption en matière de littérature. Le personnage de Saint-Marin apparaît dans les dernières pages du texte. Il représente la fatuité et la coupable satisfaction de l’auteur arrivé. Cet homme dans le grand âge et la reconnaissance publique se sent acculé. La belle étoffe de sa vie n’est que poussière lorsqu’il veut en tâter le fil. Saint-Marin l’agnostique, le beau vieillard libertin que des aventures avec des filles faciles et douteuses ne rassasient plus veut rencontrer le saint de Lumbres pour, peut-être, trouver une échappatoire à sa faillite programmée. Horrifié par les éclaboussures de sang sur le mur de la chambre du prêtre, résultat de flagellations, chambre qu’on lui a fait visiter comme on visite une grotte miraculeuse, Saint-Marin laissé seul dans l’Eglise de Lumbres, entrevoit une éventuelle sortie de jeu plaisante et digne de lui, la conversion, une gentilhommière près de la paroisse du saint, une fin de vie lumineuse et calme, même un dernier ouvrage … Mais, coup de théâtre, l’abbé Donissan ne se laissera pas embrigader et, à travers la mort semble dire au mondain repenti qui le découvre : « - Tu voulais ma paix, s’écrie le saint, viens la prendre ! … »

dimanche, octobre 05, 2014

"Musique dans la Karl Johan Strasse", extrait 5

"Musique ..." est un projet, un essai autofictif entamé en septembre de l'année dernière qui a pour point de départ la toile de Munch, présentée dans les collections du Kunsthaus de Zürich. 

Madonna et Rosanna dans
 "Recherche Suzanne désespérément"
J’avais oublié la vulgarité de la mise-en-scène bohême du clip « Into the groove », Madonna, 1985. La chanteuse affecte cette aisance à vivre si humiliante pour les adolescents réservés, ceux que l’on n’a pas pris la peine de rendre indépendants et forts. La madone truque un peu en vocalisant un ton trop bas, masquer son absence de voix. Elle joue d’un joli look négligé-chiffon, dépareillé pop décomplexé comme si complexe – donc complexion – était forcément synonyme de coincé. La chanson a  été écrite pour le film « Recherche Suzanne désespérément », une bluette inspirée avec Rosanna Arquette en co-vedette. L’anticonformisme vanté par la chanson, le clip, le film, Madonna : du pipeau ; pire, un mensonge ! Si l’on veut durer, au-delà d’une adolescence solaire, il faut se donner une ligne, se soumettre à une logique et à son usure par la même occasion. Il faut creuser son sillon dans le « champs social », et le creuser bien droit. A moins que la fortune ne vous ait placé au-dessus de ça … et encore ! Mon histoire passionnelle avec un gamin sublime, toute l’énergie que j’ai pu mettre dans cette relation n’ont pas suffi à maintenir l’objet de mon amour dans la haute orbite à laquelle il aspirait. Je n’étais peut-être pas assez « cool » pour lui, pas assez « anticonformiste », j’étais toujours en butte à ses reproches, à son inconduite à mon égard. Je l’ai quitté. Quelques années plus tard, notre rupture n’en était pas la cause directe, il s’est suicidé. Mon parrain, Daniel Zufferey, s’est aussi suicidé. C’était pourtant un auteur publié, reconnu ; il exerçait le journalisme en dilettante et n’avait pas à s’inquiéter de son avenir matériel. Pas même séropositif et plutôt pas mal dans le genre « petit prince », yeux bleus, teint diaphane, il était excellent pianiste … et anticonformiste, tout comme la clientèle des cafés lausannois en vue, de ces établissements qui eussent été punk en 85 et qui, donc, sont bobo design aujourd’hui. Toutefois, ces anticonformistes-là ont trouvé l’antidote à leur futur suicide : ils ont fait des enfants et traînent cette progéniture en bas âge comme un trophée dans les cafés à la mode. Ils ont régénéré le conformisme de leurs parents, grands-parents. Peut-être étaient-ils aussi punk en 85 ? Ils ne doivent certainement pas être frappés par la vulgarité de la mise-en-scène du clip « Into the groove » et voire avouent avec gourmandise leur « fanitude » adolescente pour Madonna ?!