mardi, décembre 23, 2014

"Musique dans la Karl Johann Strasse", extrait 6.

Parfois, je rêve d’une vie banale, d’une vie encore plus banale que celle que je mène. Ce serait une vie assez semblable mais libérée des références et des relations, une vie où je ne serais que moi sans Thomas, Julien, François, Félix, Elisabeth, Clotilde, John et n°6. Je vivrais en amitié avec mon corps et je serais même sociable. Je ferais des choses dépourvues de la moindre connotation à mes propres yeux. Il y aurait des circonstances communes, parfois un amant, ou un ami, et moi. Je travaillerais à temps très partiel, des mandats, l’un de ces trucs débiles qui ne servent à pas grand-chose. Ce serait un peu physique mais pas trop, suffisamment pour m’obliger à apparaître en t-shirt voire même sans t-shirt. Je passerais les trois-quarts de la journée seul, sans avoir besoin de tenir la conversation. Je ne voudrais conserver de ma vie actuelle que ma sensibilité au monde et la richesse de mon ressenti. Parfois, j’irais visiter un musée, découvrirais une toile, d’un regard neuf, innocent. J’aurais peut-être une relation, à distance, intermittente. Un homme marié ou un jeune sportif professionnel. Je conduirais une voiture italienne bonne pour la casse, une vieille chose, et mon plaisir de vacances consisterait à rouler un peu trop vite, dans un cabriolet de louage, sur une route surplombant la mer, mon intermittent du cœur à côté de moi. Je ferais cela sans même connaître le nom de Françoise Sagan.
            
Parfois, je mène cette vie, lorsque je sors de la salle de sport, 20h, la nuit, la fraîcheur de l’air, le reflet d’une station à essence saturée de couleurs et de lumière électrique, ce reflet vulgaire dans les fenêtres d’une lourde maison, un petit locatif, de l’autre côté de la route. Les salles de bain disposent d’une lucarne d’un ovale gracile. Il n’y a personne, pas un passant, juste la circulation clairsemée et anonyme. Je rentre en passant par les quais, observer le clignotement de la côte française, respirer l’haleine du lac, essayer de me persuader que je suis l’autre, celui qui n’a pas d’histoire, qui mène une vie banale, qui va faire des trucs lambda sans rien savoir de l’inquiétude diffuse que l’on ressent à la vue de « Musique dans la Karl Johann Strasse ».


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