mardi, juillet 08, 2014

"Canicule parano", extrait

Dans l'attente de la publication mi-août de "Canicule parano", voici le tout début de ce roman d'atmosphère et d'introspection.
 
Le décor : Berlin, en juillet, un dimanche après-midi; la canicule écrase la ville depuis plus de dix jours. La nuit n'apporte ni repos, ni fraîcheur. Maxence n'a pour seul but, au cours de cette dernière journée qu'il passe à Berlin, de se rendre à un rendez-vous pris avec une amie. Il va traverser la ville d'Est en Ouest et passer en revue sa vie, un peu à la manière de Meursault (L'Etranger). Maxence apparaît étranger à lui-même.
 
Roedeliusplatz, Berlin
"Du coin de la Weitlingstrasse et de la Rupprechtstrasse, une ligne de bus remonte vers la gare de Lichtenberg. On peut aussi s’y rendre à pieds en un peu moins de dix minutes. Des trains à mazout, des lignes venues du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale s’y perdent parfois, et même des convois venus de la frontière polonaise. Il y a, dans cette gare avant tout desservie par le S et le U-Bahn, une clientèle très « est », très slave, et des activistes d’extrême droite aux crânes rasés.
Peu avant de se retrouver assis sur la parvis d’une église, alors qu’il voulait se rendre au centre ville – pour peu que Berlin en possède un – Maxence a préféré éviter la gare et a pris une parallèle à la Weitling qui l’a mené aux « sources » de la Frankfurterallee. C’est un décor figé et très berlinois de grands boulevards wilhelminiens au charme usé avec d’immenses trottoirs déserts qu’animent de rares kneipe. Quelques lignes de tram serpentent entre les pavés disjoints vers d’improbables destinations. Il y a toujours un carrefour qui laisse espérer une ouverture sur une avenue fréquentée et connue mais la perspective s’ouvre sur un nouveau défilé d’immeubles austères ou bariolés par suite d’une réhabilitation hystérique post-réunificatoire. Peu de bruits. Très peu de passants. Pas de touristes. L’après-midi est lourde. Un ou une après-midi ? Un après-midi évoque mieux la grâce perdue de ce qui fut un quartier recherché, une sorte de banlieue cossue de la Berlin impériale. Lichtenberg retrouva la cote dans l’après-guerre, y logeaient les camarades fonctionnaires de la sûreté d’État et leurs alliés : beaux-frères méritants, cousins recommandables, aïeux patelins. Ils y vivent encore de l’aide sociale. La majorité d’entre eux n’a pu retrouver d’emploi après la réunification. Ils vivotent dans la mélancolie des temps passés et voient avec résignation arriver de nouveaux habitants, des « Schwaben» comme ils disent avec un rien de mépris, une clientèle que les loyers prohibitifs de Prenzlauerberg ont fini par rejeter ici, parmi une population à la réputation raciste et arriérée. Maxence a hésité à monter dans un tram vide qui, nonchalamment, s’était échoué au bord du trottoir. Il a hésité à se lancer dans une promenade « aventureuse » et découvrir une rue, une place qu’il ne connaissait pas encore et qui lui aurait parlé. Toutefois, il s’est souvenu de l’ex-Glaubenskirche dont il a commencé à rechercher les toits pointus des deux tours accolées, sur une place en  partie bordée par les bureaux déserts de l’ex-sécurité d’État.

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