vendredi, mai 09, 2014

Marsden Hartley : 1913-1915, un artiste américain à Berlin

Berlin Ante War, 1914, Marsden Hartley
La Neue Nationalgalerie présente jusqu’au 29 juin prochain une courte rétrospective de l’artiste américain Marsden Hartley, plus d’une trentaine de toiles de sa période allemande. L’artiste connut un parcours peu commun. Né en 1877 de parents ouvriers du textile, Marsden est le cadet de neuf enfants. Il grandit dans le Maine. Orphelin de mère à huit ans, il fut en partie élevé par l’une de ses sœurs après le remariage de son père à Cleveland. Marsden rejoignit son père et sa belle-mère en 1893 après avoir quitté l’école et travaillé dans une fabrique de chaussures. A Cleveland, il occupa une place de « pommeau » dans un bureau et prit des cours de dessin hebdomadaires. En 1898, il reçut une bourse et commença des études à la Cleveland School of Art. Dès lors, son talent ne fit que s’affirmer, la reconnaissance publique allant de pair avec l’obtention de nouvelles bourses

New York, Alfred Steglitz, Paris, Gertrude Stein, Berlin ! ou comment par le hasard de lieux et de rencontres un jeune homme américain tomba littéralement amoureux à et de la ville. Nous sommes en 1913. Il y a le bel officier prussien Carl von Freyburg ; Marsden le connut à Paris et le retrouva « dans son jus ». Il faut imaginer cette Berlin brillante, cosmopolite, étonnamment tolérante, comme tout le reste du pays, chose paradoxale depuis l’étranger, du fait de l’image militariste qui colle aujourd’hui encore à l’Empire allemand ! Mais que la vie est agréable entre la promenade au parc, le long des grands boulevards commerçants, sur l’une ou l’autre ligne du métro aérien, dans les nombreux cafés de la Potsdamer Platz. Marsden ne témoigne pas d’une germanophilie de carton-pâte mais développe une véritable mystique pour ce pays, ce peuple, cette culture dont il intègre les codes qu’il va rendre à travers ses compositions artistiques. Il avait déjà été frotté de germanité aux Etats-Unis où les immigrants allemands animaient la vie culturelle de la côte Est. Marsden appréciait déjà avant son périple européen tous les artistes de la Sécession.

Le déclenchement de la guerre ne fit pas fuir notre homme. Pas tout de suite. De plus, l’officier Carl von Freyburg, dont il était amoureux, perdit la vie au combat le 7 octobre 1914 près d’Arras. Marsden se mit alors à peindre des motifs militaires. Ni le décès de son père  fin 1914 aussi, ni celui de sa belle-mère en mai 1915 ne parvinrent à le rappeler sur le Nouveau Continent. Il était pourtant très attaché à cette femme ; il prit même pour prénom son nom de jeune fille. Hartley se prénommait Edmund et non Marsden. Fin 1915, il finit par rentrer aux Etats-Unis. Il retourna à Berlin dès 1921 et séjourna encore à de très nombreuses reprises en Allemagne, jusqu’à son décès en 1943.

La patte de Hartley, dans ses œuvres allemandes, est singulière et remarquable. Il développe un langage schématique, à la limite du naïf, dans une palette primaire. Il se tient de même à la limite du non-figuratif et de l’expressionisme, le tout relevé par quelques motifs amérindiens. Il confronte et rapproche ainsi des univers distant de milliers d’année lumière dans une vision personnelle et syncrétique. Le plus étonnant provient d’une sorte de « cousinage » sauvage entre l’œuvre de Hartley et celle … de la vaudoise Aloïse Corbaz, patiente psychiatrique reconnue de son vivant pour sa pratique de l’Art Brut. Aloïse vécut à Berlin de 1911 jusqu’à la veille de la première guerre mondiale. Elle travaillait à la cour, en tant que bonne d’enfants du chapelain de l’empereur. Elle sera placée en institution psychiatrique quelques années après son retour d’Allemagne du fait d’un comportement parfois inadapté mais, surtout, de ses convictions pacifistes qu’elle clamait en public, et de son amour pour Guillaume II. Marsden et Aloïse partagent le même goût pour les couleurs primaires et la même germanophilie, le même enthousiasme pour cette vaste Allemagne moderne et cultivée. Peut-être Aloïse eut-elle l’occasion de voir des œuvres de Marsden ? Hypothèse peu probable. De par sa fonction, Aloïse ne fréquentait pas les milieux artistiques et sortait rarement seule à Berlin. Les concordances demeurent. Sont-elles le résultat de l’atmosphère allemande de cette époque ?

Un "cahier" d'Aloïse Corbaz
Marsden et Aloïse témoignent avant tout de leur empathie pour un pays réglementairement haïssable depuis août 1914. Les soldats allemands tombés au front ne méritent pas moins les pleurs des leurs que les soldats britanniques, russes ou français. L’Allemagne n’a pas moins été « embrigadée » dans l’improbable équipée de la guerre que la France, l’Autriche-Hongrie ou la Turquie. Marsden et Aloïse furent des spectateurs neutres dont l’affection pour l’Allemagne n’était pas troublée par les vapeurs narcotiques du chauvinisme.


Aucun commentaire: