dimanche, avril 28, 2013

"La Passante du Sans-Souci" versus "Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise"

Romy Schneider tient le rôle d'Elsa Wiener
dans le film de Jacques Ruffio, en 1981
Roman choc, roman de la dérive, de l’exil, de la faillite physique et de l’amour aussi, une dévotion aveugle face à l’horreur sans nom ; le texte date de 1936 mais il n’a rien perdu de sa force, de sa valeur symbolique. Elsa Wiener pourrait être une femme syrienne aujourd’hui, elle aurait pu être une dissidente russe d’avant ou après la chute du mur. On tue encore aujourd’hui en Russie pour délit d’opinion. Elsa Wiener est le prototype de la victime collatérale à tout système totalitaire. Simple épouse d’un opposant, elle doit fuir sa patrie et connaît une longue chute physique et morale.

La Passante du Sans-Souci, de Joseph Kessel, est aussi un texte haletant, prenant, beau, parfois un peu poseur, lorsque le narrateur tend à trop s’étendre sur sa propre vie. Kessel était déjà un auteur en vue, un journaliste reconnu, le genre bourlingueur bonne gueule qui a tout vu avec ses convictions en bandoulière. Toutefois, le cœur est généreux, la plume talentueuse et la vision politique juste. Il s’agit de l’une des premières dénonciations publiques du régime hitlérien et des camps de concentration.

Il est question de la faillite physique et morale d’une belle femme, d’une artiste fine et cultivée, réduite à l’alcoolisme, l’héroïnomanie et la prostitution. Qui s’intéresse vraiment au sort de toutes les Elsa Wiener que l’on trouve encore aujourd’hui à Paris, Londres ou Genève ? Elsa est aussi le prototype même de cette bonne vie allemande, de cette bonne vie bourgeoise après laquelle je cours et me réfugie, ce petit genre « Mittel Europa », comme une pochette de soie qui bouillonne sur une veste bien taillée. Cette bonne vie serait-elle un mensonge ? Oui et non, j’en ai fait le tour dans Tous les États de la mélancolie bourgeoise.

Je serai présent au salon du livre de Genève, le vendredi 3 mai de 17h à 18h30 et le samedi 4 mai de 17h30 à 19h. Je présenterai mon texte mais ne pourrai m’empêcher de penser qu’aucun essai au monde n’aurait sauvé Elsa Wiener.

mercredi, avril 24, 2013

Pas grand chose / Alex Beaupain

Alex Beaupain
« Quel malheur de parler français ! » Regard interrogateur de Cy, déclaration vérité sur une route de campagne, une heure du matin passé et Alex Beaupain sur France Inter. Il est tard, après une longue semaine, mais je suis sincère et sens sur moi le sortilège mélancolique de cette culture française (la culture suit la langue) qui n’en finit pas de s’éteindre dans les tous derniers éclats de la mitterrandie, un ultime sursaut universaliste.

Tous les transits à potron-minet ne m’offriront jamais la moindre possibilité de fuite ; Berlin même ne me libérera jamais du joug du français, de cette langue admirable et triste que je maîtrise avec aisance, élégance et passéisme. Je sais que violenter la grammaire ne sert de rien, réaction désespérée de jeunes auteurs, chiens fous littéraires qui tirent rageusement sur leur chaîne. Et la voix douce, légèrement dissonante, le ton affecté d’Alex Beaupain qui me racontent mon exil intérieur. Jamais je ne partagerais la jeunesse de la culture allemande, sa vitalité ni le succès bon-enfant des sociétés anglo-saxonnes, cette manière de s’offrir au monde et de le bouffer avec appétit.

Quel malheur de parler français, d’être pris dans les filets d’un certain état d’esprit, une logique dont j’essaie de me défaire depuis dix ans, depuis ma rencontre avec Berlin. Autant se le dire : aucune échappatoire n’est possible. Au mieux, je serai juste un naufragé que l’onde renverra sur les côtes de cette culture au charme si délicat, photos jaunies, clichés doucereux et proustiens, thé, madeleines, Art Nouveau, après-midis fleuries. Et des larmes sucrées …

mercredi, avril 17, 2013

Salon du Livre de Genève 2013

Quelle est la place de l’auteur ? Et que recouvre l’étiquette d’auteur ? Version basse : quelqu’un qui écrit … Version haute : une voix, un regard, une singularité qui se déploie avec plus ou moins d’élégance, un peu moins d’obligeance mais avec style … et syntaxe. Quant à la place de l’auteur, le Salon du Livre de Genève est un bon début. On s’y croise dans le brouhaha d’allées qui n’en finissent pas, façon marché médiéval avec échoppe de chiromancien et taverne du coin. On y voit les princes de l’empire des Lettres françaises et les membres de la cour pressés par la foule des lecteurs. On y voit aussi de preux chevaliers au service d’un idéal non-littéraire qui rejettent tout système – et règles de grammaire par la même occasion – mais participent tout de même.

Je suis très heureux de (sup)porter ma prochaine publication, « Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise », un essai autofictif, présenté sur la stand de mon éditeur Hélice Hélas, à côté de Plonk et Replonk. Je ne serai pas seul, il y aura mon éditeur, Stéphane Bovon, et mon très cher collègue de plume Pierre-Yves Lador , et d’autres dont le brillant Olivier Morattel qui a publié il y a deux ans de cela mes « Mémoires d’un Révolutionnaire ». Mais mon petit dernier, un essai, un texte à la fois un peu trop délicat, un peu trop critique, un peu trop écrit, quel lecteur va bien pouvoir le trouver ? Je n’ai pas de quoi lutter face à la bonne gueule de très, très, très jeunes « auteurs » ayant publié il y a peu, et à succès. Je n’ai plus ni la jeunesse, ni la nouveauté. Je n’ai que mon œuvre, un travail de vingt ans, qui m’a valu la déglutition de quelques couleuvres, l’encaissement de quelques coups bas et un petit tas de désillusions.

Du 1er au 4 mai, je serai donc présent au Salon du Livre de Genève, j’y présenterai un peu de mon activité, un volume papier publié car le blog est aussi une partie de mon travail littéraire. J’espère la visite de Jacques Bonnard, qui a illustré « Tous les Etats de la mélancolie bourgeoise », quelques amis, quelques connaissances peut-être aussi, venues déposer leur hommage aux pieds des grands feudataires de « Galligrasseuil ».





lundi, avril 08, 2013

Une artiste oubliée

Je vous écris de Berlin, au milieu de sa nuit, près de Vicktoria-Luise Platz, le beau Schöneberg. Je suis retourné dans mes chères Allemagnes à l’occasion de la pause pascale. Je suis arrivé par le train, la ligne Bâle-Berlin qui passe, entre autres, par Francfort. J’y ai fait une halte de deux jours, découvrir cette ville d’Empire que je ne connaissais pas encore. Un grand boulevard commerçant, le Zeil, une gare gigantesque, un centre historique plus très historique à force de restaurations, de grandes tours façon la Défense. Mais, surtout, une rencontre, au Städel Museum, le grand musée d’art francfortois, la rencontre avec Ottilie Wilhelmine Roederstein, une oubliée de l’histoire de l’art, ou plutôt une déportée du modernisme révolutionnaire post-seconde guerre mondiale.
Ottilie vit le jour à Zürich en 1859 au sein d’une famille de commerçants en textiles. Elle étudia auprès du peintre zurichois (tout aussi oublié qu’elle) Pfyffer, un ami de la famille Roederstein. Ottilie fit de rapides progrès, son talent nécessitait l’ouverture à un autre horizon artistique. Le mariage de sa sœur avec un commerçant berlinois en 1879 donna à notre artiste la possibilité de fréquenter dans la capitale du jeune empire allemand l’atelier de Karl Gussow. Elle y connut sa première amie, Annie Hopf, une autre élève de Gussow qui partit s’installer à Paris en 1882. Ottilie la suivit. Elle y resta jusqu’en 1887 et vécut de son travail. Pleinement émancipée de la tutelle familiale, financièrement indépendante, son oeuvre s’épanouit pleinement.
Sans entrer dans les détails de sa biographie, cette grande oubliée connut une immense reconnaissance dans l’Allemagne wilhelminienne et durant la République de Weimar. La société commerçante et cosmopolite francfortoise ne démentit jamais son admiration pour la peintre suisse qui travailla même un certain temps dans un atelier dépendant du Städel Museum. Ottilie finit par s’installer à Hofheim am Taunus (entre Francfort et Wiesbaden) avec sa seconde amie, Elisabeth Winterhalters (1856-1952, première chirurgienne allemande). Les deux femmes vivront ensemble sans qu’il n’y eût publiquement le moindre doute quant à la nature de leur relation. Ottilie décéda auprès de son amie en 1937.
La guerre ? Son art du portrait ? Son homosexualité affirmée et vécue au grand jour ? Le fait qu’elle était une femme ? Quelles sont les raisons de son oubli ? Difficile de se prononcer. Son style dépourvu d’affectation moderniste, de « trucs » ni de sujets gratuitement provocants ne permet pas une reconnaissance immédiate de sa griffe. On la trouva certainement trop classique. Pourtant, sa technique ne cessa d’évoluer. S’il fallait la comparer, elle tient de Vallotton pour les paysages et Cuno Amiet pour les portraits.
On ne peut que rester songeur devant le dernier autoportrait d’Ottilie, une toile en pied datée de 1936 dans laquelle l’artiste se représente des clefs à la main. Le regard est perçant, douloureux, curieux et doux à la fois. Voit-elle le monde qu’elle connut définitivement disparaître ? Comme un dernier regard jeté sur une pièce avant de la quitter. Elle s’apprête à sortir, à cause des clefs, c’est évident. Elle sait que, jamais elle ne reverra ce sur quoi elle fermera la porte.