lundi, janvier 21, 2013

Dernier Vol au départ de Tegel - Epilogue

Loewen Apotheke, Lörrach
Epilogue

Nous sommes bien trois ans après le second mariage de Robert, voire quatre même, et n’allons pas tarder à nous rendre à Lörrach, bourgade versée dans l’industrie textile en son temps. Von Bukow le faiseur y avait commencé sa carrière. Il en avait retiré un grand crédit auprès des milieux immobiliers berlinois. Robert, donc, est de passage en Suisse, un voyage dans l’urgence ; Josiane sa mère a eu un malaise, une première alerte. Il a pris le vol du matin pour Genève et, après quelques jours, à demi-rassuré, s’est laissé éconduire par la malade qui lui a même suggéré un détour par Lörrach, y retrouver peut-être une trace de l’aïeul von Bukow, un témoignage quelconque. «On parlait parfois de sa famille avec ta grand-mère paternelle. Maintenant, je sais que les racines, c’est important» a conclu la convalescente. Robert et son quasi-non-cancer sont partis pour la région de Bâle, pour la bonne petite ville allemande de l’autre côté de la frontière. C’est un samedi matin, un début de journée affairé sous un ciel gris, le panorama vallonné, le vignoble alentour. Robert descend d’un train de banlieue transfrontalier et longe la Baslerstrasse. Sur ce qui semble être la place centrale, il veut s’arrêter dans un salon de thé mais l’établissement est plein de la foule suisse-allemande venue profiter des bons prix, de la bonne vie allemande. Robert passe son chemin et remarque aussitôt un bâtiment élégant d’un goût Biedermeier et, tracé en lettre d’or sur sa façade, « Loewen Apotheke ». Au cours de ses conversations avec Bruder Augustus, ce dernier lui avait parlé des débuts de l’ancêtre, il faisait le commerce de denrées coloniales et de plantes médicinales avec une importante officine, voire la plus importante de ce côté-ci du grand-duché de Bade. Par curiosité, Robert passe le seuil du commerce. Et, puisque la vie de Robert s’est jusqu’à présent déroulée comme dans un roman, inutile de remettre en cause cette logique. Tout naturellement, sur les étagères garnissant un mur de la pharmacie, parmi d’anciens bocaux de porcelaine frappés de caractères gothiques, il s’en trouve un portant l’inscription « Mischung von Bukow ». Mine de rien, alors qu’il paie une boîte de pastilles, Robert relève auprès du personnel le bel effet que produisent ces pots … en décoration. La pharmacienne, la gérante de l’établissement, s’empresse de rétorquer que ces « bocaux » sont tous d’époque et étaient encore utilisés avant la guerre. Robert prend un air édifié et s’enquiert de la teneur du « Mischung von Bukow », jamais encore il n’avait entendu parler d’une telle chose. Recette de « bonne fame » lui répond-on, un mélange d’herbes locales et de champignons chinois. « Von Bukow était pharmacien ? » ajoute encore finement Robert. Oui et non, c’était un associé du pharmacien, ça remonte à loin, quasi à l’ouverture du négoce, à l’époque la Bade était encore un Etat indépendant. Von Bukow venait de Hambourg ou de Poméranie ou … allez savoir. Il importait du thé, de la résine, des teintures, tout ce qu’on pouvait trouver dans une pharmacie. Son mélange était un remède universel efficace contre les verrues plantaires, le typhus, les mauvais rêves et les ballonnements. On l’a même prescrit contre le cancer au début du XXème siècle. Si ça ne faisait pas de bien, ça ne faisait pas de mal au moins. « Autre chose avec ça ? »

Robert ressort amusé. Il laisse la bonne ville de Lörrach où tout a commencé et tout fini à ses visiteurs suisses-allemands encombrants. Il a trouvé un vol retour de dernière minute et qu’importe l’aéroport où il atterrira, qu’importe le nombre de vols qu’il connaîtra encore au départ de Berlin, ou de Bâle, qu’importe les détails puisque le roman est écrit et son intrigue ourdie de longue date.

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