vendredi, juin 08, 2012

Dernier Vol ... - 12

Mille excuses à tous mes lecteurs, je n'ai pas eu le temps de placer un nouvel épisode de votre roman de l'été, la faute à la fin de l'année scolaire et à projection de la Walkyrie, une production du Met diffusée dans une salle de Lausanne hier soir !


Le jardin chinois, à Zürich

Fritz Zorn n’a certainement pas connu le jardin chinois ; ça ne l’aurait pas empêché de mourir d’un cancer mais ça lui aurait peut-être apporté une certaine paix. Robert a eu envie de revoir ce lieu. Après plus de deux heures de train, quelques trams, et un plat de nouilles sautées, rapport au risque de brûlures d’estomac en cas d’ingestion à jeun de son super-anti-inflammatoire, il a pris place sur une sorte de trône incrusté de nacre, le regard flottant sur les frondaisons avec le détachement d’un mandarin. Des touristes abrutis – forcément – traînent dans les allées. Dommage qu’il ne pleuve pas. Ils regardent chaque élément, chaque bosquet, chaque sculpture à la façon d’acheteur potentiel dans une maison témoin. Les enfants ne sont pas les pires. Dans leur vacuité culturelle, ils tentent de se raccrocher à ce qu’ils connaissent, demandant si les franges des pompons des lanternes du pavillon du thé sont en spaghetti ? En fait, le jardin chinois ne se visite pas, il se vit. Quel que soit son avenir, Robert aura – au moins – appris cela. Il l’a appris à Berlin ; il n’aurait pas pu l’apprendre à Paris.

Où que l’on porte le regard, la vue compose un tableau raffiné. Une balustrade de pierre travaillée, un bassin double, un pont, une pierraille, une cascade, une pagode, un belvédère, des pierres dressées, des arbres savamment taillés, autant d’éléments symboliquement chargés dont il ne connaît pas le sens exact. Robert – en dépit de son nom – n’est pas une encyclopédie. Aujourd’hui le léger clapotis qu’il perçoit à l’extrémité du bassin lui parle, et de lui. Il se décide à quitter le siège sur lequel il s’était accroupi, déplie ses jambes et glisse presque avec un geste coquet ses pieds dans ses chaussures qu’il avait laissées sous une table basse. Il arpente d’un pas lent et mesuré le jardin clôturé, faisant de nombreuses stations sur le pont, près de la cascade, dans le belvédère, le long de la balustrade de pierres sculptée, au milieu du mini canyon qui traverse la pierraille, dans la pagode et près des pierres dressées, des bosquets odorants, et sous les plus grands arbres savamment taillés. Avant de sortir du jardin, il achète encore une carte postale ; il en envoie une au beau-fils de son ex-épouse à chacun de ses voyages. Deux femmes essaient de quémander une entrée gratuite sur la foi d’une carte journalière des Chemins de Fer Fédéraux mais le sésame n’est pas valable ! Elles gloussent, se rengorgent, récriminent et tournent les talons plutôt que de payer une entrée qui vaut moins cher qu’un café dans n’importe quel établissement de Zürich. Sur la large pelouse séparant le jardin chinois du lac s’étale une foule adolescente et poseuse, des jeunes gens s’enlaçant dans l’amitié et la confusion, des buveurs de bière et des enthousiastes tenant absolument à faire partager leurs non-goûts musicaux. Une patrouille de police semble aux aguets dans un coin. Robert préfère reprendre par des rues parallèles aux quais le long desquelles s’alignent de petits bâtiments d’habitation et ce jusqu’aux abords de la place de l’opéra. Il ne croise que quelques tea-rooms de quartier et de rares épiceries, rien qui n’attire le chaland. Tout le reste de la ville est plein comme un œuf ; les badauds débordent de partout, tous plus élégants les uns que les autres, à croire qu’ils ont été engagés sur casting et que l’on tourne un clip de promotion touristique. Personne ne regarde personne, et tout le monde prend cet air faussement détaché, si propre à la Suisse et particulièrement marqué à Zürich.

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