lundi, avril 14, 2008

Le miroir


Je n'ai jamais connu l'angoisse de la page blanche ... jamais. Il me suffit d'écrire, simplement dévider la dentelle des mots, prendre la parole de mes personnages, rendre apparent le dialogue intérieur qui court perpétuellement en moi, une fontaine aux jets ... gracieux ! Et tant pis pour l'image laborieuse de l'artisan méritant qui cisèle son texte en tirant la langue. En plus, il m'arrive même d'écrire en regardant la télé, au téléphone, et surtout dans les espaces publics. Je capte le mouvement, l'ondulation subtile de l'humeur générale et l'air du temps. Ça ne doit pas sembler pesant ou difficile sinon, ça me lasse et ça manque de fraîcheur. Je ne devrais pas livrer à l'exposition publique mes petites recettes de fabrication, surtout pour dire qu'écrire - et avec talent - m'est bien l'activité la plus commune et la plus aisée, plus encore que de faire la vaisselle ou changer le lit. Pensez donc, un lit de 1,60x2,10, un bateau lavoir avec des draps qui n'en finissent pas et des housses de couette comme une tente de camping. Il me faut bien une demi-heure pour tout changer, et la lessive, étendre, repasser, plier ... Pfff, non, écrire est bien plus simple, commode, gratifiant et drôle. Le vrai secret : être au plus près de soi ! La sincérité donne du talent, une sorte de blanc seing vers la vérité, celle dont nous détenons notre part.

Je me suis mis, par jeu, par coquetterie, à habiller ces évidences de quelques belles notions lettreuses : "devoir de vérité foucaldien", autofiction, etc; de pose(s) littéraire(s) (Thomas Mann, François Mauriac et/ou Hervé Guibert) mais mon travail est bien plus simple. Il suffit d'écrire, d'en avoir envie, ne pas chercher à s'économiser ... J'ai donné dans l'avarice de moi-même par honte, à croire qu'il n'était pas respectable d'écrire avec aisance et, même, rapidité. Je me souviens du conseil d'une vieille autrice après ma première publication; j'avais soumis à sa lecture un petit roman qui lui faisait suite. "Il faut prendre le temps de la réflexion" ou je ne sais quelle billevesée de cette même facture. Jalousie ? Conformisme ? Les deux ?! Qu'importe. Je témoigne de mon temps mieux que n'importe qui d'autres, de bas en haut, de la bouillasse humaine bavarde trimballée dans les transports publics aux antichambres du pouvoir. Je passe partout, c'est normal, c'est mon travail. Un auteur - prolixe ou laborieux - est la conscience de son époque, un miroir au teint plus ou moins clair, un reflet mobile qui glisse parfois sur la surface la plus incongrue et j'en passe et de meilleures métaphores.

Je me souviens aussi des auteurs qui nous étaient offerts en vénération au lycée (oui, lycée, je pense à mon public français pour qui un "gymnase" n'évoque rien d'autre qu'une palestre). Un vieux poète alcoolique, borné et amer nous rabâchait dans sa demi-ivresse la biographie de monuments lourdingues de la littérature tourmentée et sérieuse, d'antiques trucs mal vissés sur leur socle que n'importe quel jeune homme décidé, chargé d'un lourd paquet et pressé de trouver un rebord pour se délester, mettait à bas sans y prendre garde. Le jeune homme, c'était moi ! Et les élucubrations vaseuses autour du minou de la dadame par des poêts vérolés m'ont toujours laissé froid. Mon enseignant imbibé n'avait pas compris mon allergie aux félidés et nourrissait une certaine jalousie (encore !) à mon endroit, persuadé qu'il était que j'avais séduit et consommé toutes les filles de la classe. En ce temps-là, ma littérature était nue, je n'avais pas l'usage d'un habillage, je ne me projetais pas dans un modèle. J'étais trop occupé à vivre des thèmes romanesques. Puis j'ai versé dans une certaine parcimonie de ma plume; voilà qui est passé, par bonheur. Entre mes laharperies, une pièce que je suis en train de placer, Le Concile de pigeons, la prochaine sortie de La Dignité, je renoue avec la prodigalité naturelle de ma source.


Aucun commentaire: