vendredi, janvier 19, 2007

Le bureau de Thomas Mann


Il est plus d'une heure du matin ... Je suis assis dans mon lit, observé par la bergère, dans le coin de la chambre. Je pense à Gregory, je crois qu'il me manque ... S'il était encore de ce monde, je l'appellerai ... J'ai le mal du pays, Berlin, mon "chez moi" d'élection. Cela fait trois mois que je n'y suis pas allé, et encore la pensée de Traumprinz. Cette après-midi, au collège de C., village vaudois où vécut une dame lettrée et nymphomane, en recevant sur un ton proto-militaire les instructions d'un supérieur hiérarchique, je me suis demandé s'il avait aussi une Traumprinzessin en tête, le mal d'une terre d'élection au coeur ? Je me suis demandé à quoi ressemblait son intériorité ? Il est vrai que la "hiérarchie" et moi, cela fait deux et je n'imagine jamais rien de spécial au sujet de ses représentants si ce n'est de quelle manière leur répondre en leur signifiant mon fond de conviction anarchiste ...

Il est largement plus d'une heure du matin et j'essaie de percevoir une voix, au fond, tout au fond; je n'entends rien. Il n'y a que des images, Barcelone, Zürich, des promenades, des détails quasi insignifiants et aussi présents que le regard de la bergère. Je dois faire quelque chose de ces miettes, les assembler, créer ... J'ai fini de taper "A Poil !", l'une des quatre parties de "La Dignité". Mon roman historique attendra un peu ... "Le Concile de pigeons" m'appelle, drôle de texte dans lequel je peux rendre les mille petits riens picorés à gauche, à droite, avec voracité, à la façon d'un pigeon et je me sens à nouveau "pris", comme l'une de ces bestioles dans un filet de protection des façades.

Il est deux heures, la bergère s'est assoupie, tous les objets s'endorment. A force, nous habitons d'une vie résiduelle tous ces serviteurs inertes. Nous leur donnons leur valeur, nous les honorons d'un souffle de vie qu'ils continuent à porter parfois bien après notre propre disparition. Thomas Mann, à travers l'exil et ses nombreux déménagements, a toujours recomposé le décor de son bureau, méticuleusement. Cela participait à son activité littéraire, à croire que ce sont ses meubles qui ont écrit son oeuvre.

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