mercredi, avril 12, 2006

Tibidabo

Rédigé durant mon séjour à Barcelone du 6 au 10 avril


Une dernière chose de ce voyage pour mes « mémoires ». A la basilique de Tibidabo – la plus haute colline de Barcelone – dans la crypte, plus exactement dans la chapelle de l’adoration perpétuelle, à la gauche de l’autel, une figure d’ange … Comment raconter sa physionomie si humaine, si vivante, son regard détourné, pudique et si triste à la fois. Il présente à l’adoration, à la dévoration des fidèles la sainte hostie, le corps … le Christ. Il le présente avec douleur, comme s’il sacrifiait le dernier souvenir d’un disparu trop aimé. De sa main droite, il sert avec affection un calice contre sa poitrine. Les phalanges de sa petite main sont crispées avec la même angoisse qu’un enfant qui étreint sa peluche car il devine … Mon Dieu, ses yeux, sa posture, toute la contenance et l’humilité de sa personne, et ce suprême sacrifice auquel il consent … Il m’a semblé si seul ; jusqu’aux plis de son habit traversé des marbrures de la pierre … Tout souffle est en passe de la quitter, il se laisse gagner par la minéralité de l’autel, un dernier effort encore, pour offrir ce corps si aimé. Et après ? Après, il aura perdu et la vie, et le ciel, et l’amour. Je suis redescendu interdit de cette rencontre, jamais je ne pourrai oublier cette impuissance devant une peine incommensurable. On aimerait pouvoir se jeter à genou et prendre le pauvre visage entre ses mains, lui dire « Tout ira bien ».
Qu’importe Flaubert, Thomas Mann et Hervé Guibert, je me fous d’être « un homme de lettres », sensible, écorché, et tout, et tout. Ce n’était qu’un bas-relief, d’une facture artistique plutôt naïve, soit. Il m’a toutefois parlé, il m’a raconté le sentiment de « déréliction » (c'est-à-dire se sentir un vieux truc moche et sans intérêt qu’on a balancé négligemment au bord du trottoir), il m’a donc raconté ce sentiment comme je ne l’avais jamais compris. Que je n’aie personne sous la main à qui raconter mes jérémiades, je suis un grand garçon, et j’ai mes lecteurs, mais qui, aujourd’hui, pourrais-je consoler simplement en lui soufflant à l’oreille « je suis là ! ».

Aucun commentaire: